Par Nicolas de Chalonge, Expert branding Yellow Lab, directeur associé de Mots-Clés.
Au 1er janvier 2024, adieu Pôle Emploi et bonjour France Travail ! L’administration change de nom et voit ses missions élargies. Alors qu’une opération de renaming est toujours le fruit d’une stratégie mûrement réfléchie, quels sens derrière cette transition ?
France Travail, un mouvement de cohérence des marques publiques
Ce renaming de Pôle Emploi s’inscrit d’abord dans une mise en cohérence de marques d’action publique, autour du terme “France” et de la typologie d’action. Le Commissariat général à la stratégie et à la prospective devient France Stratégie, les Maisons de Services au Public, France Services, l’Agence Nationale de Santé Publique, Santé Publique France.
Cela valorise la mission et l’impact auprès du public plutôt que le type de structure administrative. C’était d’ailleurs déjà le mouvement opéré lors du passage de l’Agence Nationale Pour l’Emploi à Pôle Emploi. Exit les initiales, ou la reprise de la structure juridique dans le nom, place à une marque directement porteuse de sens. Un changement parallèle à celui qu’on a pu observer dans le branding commercial ces dernières années (disparitions progressive des initiales ou du terme “Société”).
Deuxième mouvement, remplacer le terme juridique ou administratif par le nom du pays, “France”, donc. Une substitution qui permet à la fois d’aller chercher une connotation positive, d’associer intimement l’Etat au pays et de revendiquer un territoire d’action publique porté par l’Etat, alors que la décentralisation a multiplié les marques et acteurs publics dans le paysage. De rassembler aussi un ensemble d’acteurs sous une même marque ombrelle, lors d’un passage à une action publique en réseau (ici, Pôle Emploi se coordonne avec Cap Emploi, les Missions locales, les Conseils départementaux…).
De l’emploi au travail : bonnet blanc et blanc bonnet ?
Voilà donc pour la partie France, mais qu’en est-il du passage “d’emploi” à “travail” ? Si les deux notions sont proches et coexistent dans l’action publique (on parle de Ministère du Travail, du Plein Emploi et de l’Insertion, le projet de Loi actant du changement de nom porte le nom de Loi Plein Emploi), elles ne sont pas exactement synonymes.
Pour Annie Fouquet, directrice du Centre d’études de l’emploi, “le travail est une activité qui produit des biens ou des services utiles à la personne ou à la collectivité. Un emploi est une situation qui relie un travailleur à une organisation par laquelle transitent des revenus et des garanties sociales [...]. La notion d’emploi s’est peu à peu confondue avec celle d’emploi salarié.”
Passer de la notion “d’emploi” à celle de “travail” marque l’élargissement des publics pris en charge par de France Travail : bénéficiaires du RSA, jeunes inscrits des Missions locales, personnes en situation de handicap. Un changement de nom à mettre également en parallèle avec la mise en place en 2025 d’une obligation de quinze heures d’activités hebdomadaires aux allocataires du RSA.
Le renaming de Pôle Emploi vers France Travail s’inscrit ainsi dans le mouvement d'essor du travail indépendant et de conditionnalité progressive de prestations sociales à une activité, qui n’est pas un emploi salarié.
La working nation
Enfin, France Travail, c’est un nom qui claque comme un slogan volontariste. Là où Pôle Emploi évoquait un lieu, une sorte de supermarché de l’emploi où se rendre et attendre d’être pris en charge, France Travail évoque plutôt une dynamique, évocatrice de l’activisme politique revendiqué par le gouvernement.
À l’oreille, il sonne comme un impératif : France, travaille ! Si l’on peut discuter un emploi (intérêt, qualification, distance, rémunération, conditions…), difficile de résister à l’injonction de travailler. Un nom qui place le travail ou l’inactivité comme un choix individuel, à l’heure du développement personnel et des vidéos motivationnelles sur les réseaux sociaux, et résonne avec le “je traverse la rue, je trouve 10 emplois” présidentiel.
Le passage de Pôle Emploi à France Travail raconte ainsi deux histoires. Une histoire de communication, celle d’une mise en cohérence des marques publiques, influencée par les codes du branding corporate ou commercial. Une histoire politique, celle de l’évolution des politiques de lutte contre le chômage, entre élargissement de la notion d’activité dans la startup nation et raidissement des politiques d’indemnisation de l’assurance chômage. Un mouvement qui nous laisse libre de deviner les futurs noms d'administrations : France Verte pour l’ADEME, France Energies pour un EDF redevenu public, France Natalité pour la CAF, France Terre d’Asile pour l’Ofpra… à, ça non, pas sûr.